vendredi 14 novembre 2014

Les étoiles nous illuminent encore : Interview de Julien Morgan



Julien Morgan    
©Estelliane Kermagoret




Cornwall : Julien Morgan pourrais-tu te présenter, pour ceux qui auraient le malheur de ne pas te connaître ?
Julien Morgan : Ceux qui ne me connaissent pas devraient fuir pendant qu'il est encore temps : la combinaison auteur de SF/breton est périlleuse, même si, en ce qui me concerne, je ne me situe pour l'instant qu'à un petit 5 sur une échelle de 1 à Xavier Dollo. Pour les données techniques, je suis né à Paimpol, j'ai sévi aux Etats-Unis pendant un moment et à présent je terrorise des enfants dans une salle de cours parisienne. J'ai un chat, beaucoup de livres et une réserve inépuisable de chansons débiles (et d'autres un peu meilleures).

C :Julien Morgan semble être ton nom d'écrivain, pourquoi jouer les imposteurs comme Thomas Geha /Xavier Dollo ? Les auteurs bretons seraient-il schizophrènes ?
J.M. :Oui, ça, et probablement autre chose… J'ignore ce qu'il en est pour Xavier, mais en ce qui me concerne, ça s'est imposé assez naturellement : j'écris en anglais et en français, donc je me suis contenté d'inverser mes deux prénoms pour avoir une composante francophone et une composante anglo-saxonne. Enfin, c'est la raison officielle. L'autre raison, c'est que du coup ça fait chier plein de gens, alors ça me fait marrer.
C. : Comment le projet d'écriture de Breizh of the Dead est-il né ? Et comment s'est faite la collaboration avec les éditions Critic ? N'as-tu pas subi trop de sévices de leur part ?
J.M. : Je sais que ça va sonner vachement gnan-gnan, mais ce qui va suivre est la stricte vérité : BotD est un rêve que j'ai fait, concernant deux amis (à la base, ils n'étaient pas amants) qui se font poignarder dans le dos dans un contexte d'invasion zombie similaire
à celui du roman. D'autres idées sont venues ensuite et j'ai écrit le premier jet du roman en un peu plus d'un mois. C'est à Mathilde Montier, qui a dirigé l'ouvrage pour Critic, que les lecteurs doivent la version définitive, parce qu'il y avait énormément de boulot à partir de ce premier jet (j'en ai réécrit pratiquement les deux tiers). Pour le reste, la collaboration avec Critic s'est faite un peu par concours de circonstances : j'avais un roman de zombies, ils cherchaient un roman de zombies.
Quant aux sévices, j'ignore de quoi tu parles, tout comme j'ignore l'existence de cette cave au sous-sol de la librairie ou si Simon Pinel possède ou non un fouet à lanières crantées. Je n'en sais rien - du - tout.
C. :Bien que court, l'univers de Breizh of the dead est maîtrisé, outre le fait que tu connaisses bien le terrain de jeu de tes protagonistes, on note les précisions par exemple sur les armes, leurs fonctionnements, j'imagine que c'est le résultat de recherches ? C'est le deuxième roman ( plus une nouvelle) que je lis de ta plume, et je ne peux que constater le soin méticuleux et technique que tu apportes à tes récits. A moins que tu ne sois un féru d'armes à feu, comment arrives-tu à de telles précisions ?
J.M. : Le terrain n'est autre que ma région natale, mais j'essaie toujours d'écrire des histoires se déroulant dans des lieux qui me sont familiers. Plus par flemme qu'autre chose : ça occasionne moins de recherches. Pour le reste, justement, c'est recherches, recherches et recherches à n'en plus finir. Sachant que par recherches, je n'entends pas seulement Internet. Pour les besoin de BotD, je me suis par exemple procuré un manuel des années 1930 édité par la Manufacture Française d'Armes et Cycles de Saint-Etienne. J'ai contacté quelques associations spécialisées dans le maniement des armes et payé quelques bières à un ami pathologiste pour les détails médicaux - et notamment les anecdotes, dont certaines se retrouvent telles quelles dans le roman et sont à 100% véridiques.
La quantité de recherches que je fais est colossale, mais je crois que s'il y a bien quelque chose sur lequel il ne faut pas lésiner, c'est bien ça. Si un chasseur du fin fond des monts d'Arrée lit BotD et se met à ricaner en se disant : "Ce gars-là n'a jamais tenu un fusil de sa vie", c'est desservir totalement l'histoire. S'il se dit : "Ce type-là sait de quoi il parle", alors j'ai réussi à remplir mon rôle d'auteur : j'ai bien bluffé. Pour le reste, soit dit entre nous, je n'ai jamais tenu d'arme à feu de ma vie autre qu'une carabine de fête foraine.

C. : Ton roman, Les étoiles regardent aussi existe en numérique et papier, si je ne me trompe pas, c'est de l'auto-édition, pourquoi ce choix ?
J.M. : Parce que j'aime l'idée de me garder ce moyen d'expression en parallèle de l'édition "classique" pour expérimenter des choses. On m'a fait remarquer à plusieurs reprises que, vue la réputation de l'auto-édition en France, il valait mieux ne pas trop y attacher mon nom ; de mon côté, je me plaît à croire que les éditeurs avec lesquels je veux bosser ont plus de vision que ça. Dans l'idéal, j'aimerais rester un auteur "hybride". Il y en a déjà (je songe notamment à Jean-Claude Dunyach chez nous ou Walter Jon Williams aux USA), mais ils en ont pour point commun d'être d'abord passés par le circuit classique avant de rééditer leurs œuvres, après avoir acquis une sorte de "légitimité" auprès de leurs pairs. Je voudrais montrer qu'un parcours parallèle est tout à fait possible et vraiment bénéfique en terme d'édification personnelle et professionnelle, et qu'au final, tout ce qui compte, c'est une bonne histoire et un bon boulot éditorial (la particularité de l'auto-édition étant qu'une seule personne prend les deux casquettes, ce qui, pour peu qu'on veuille faire du boulot professionnel, s'avère invariablement complexe et demande énormément d'énergie et d'investissement). Une bonne histoire, un livre bien fait. Le reste, les détails, soyons sûrs que le lecteur s'en fout.
Il n'y a pas si longtemps, Emmanuel Gob, un des co-fondateurs de l'excellente maison d'édition numérique Multivers, a dit quelque chose qui m'a marqué et de très vrai : l'auto-édition, c'est un auteur qui s'entoure de professionnels. Et c'est la clé de tout, à mon sens. Sans les conseils avisés de Susan Kaye Quinn, également auteur indépendant de l'autre côté de l'Atlantique, Mendung n'aurait pas eu le succès qu'il a rencontré. Pas plus que sans l'excellent travail de Lys, mon illustrateur, ou le regard de pas mal de personnes extérieures, qu'elles aient agi sur les plans littéraire ou technique. Je pense que la réputation négative de l'auto-édition changerait si les auteurs comprenaient qu'être auteur indépendant ne signifie pas tout faire tout seul, mais devenir un chef d'orchestre, c'est-à-dire mettre à profits les meilleurs talents et savoirs-faire à sa disposition pour éditer un texte de qualité.

C. Je crois que l'auto édition n'a pas en soit une si mauvaise presse. Le problème vient essentiellement de ce que tu soulignes : il faut que l'auteur soit un chef d'orchestre, qui sache s'entourer. Le soucis, pour le lecteur, c'est de faire le tri dans cette offre, de prendre le risque. Et après de mauvaise expériences, je comprends qu'ils puissent se tourner vers des livres avec un circuit éditorial traditionnel, ça le rassure. Aurais tu un conseil à donner aux lecteurs pour faire un tri dans cette masse auto-édité ?



J.M. : Le problème de saturation de l'offre n'est pas particulier à l'auto-édition, c'est aussi celui de l'édition traditionnelle. Mais si c'est un problème pour les professionnels de l'édition et pour les auteurs indépendants, qui ont du coup un problème de visibilité, ce n'en est pas un pour le lecteur. C'est à ce niveau qu'interviennent les blogs. Leur fréquentation ne cesse d'augmenter pour une très bonne raison : contrairement à un critique "professionnel" (un journaliste, s'entend, même si de nombreux blogueurs sont bien plus professionnels que certains journalistes), le blogueur est un être humain. D'accord, c'est un résumé un peu brutal, mais ce que je veux dire, c'est qu'aujourd'hui le bouche à oreille, au sens littéral ou via un blog, qui reste un espace relativement intime même si public, une page Facebook ou un compte Twitter, permet de bien mieux s'y retrouver dans toute cette masse que la publicité. Offline, ce sont les libraires qui jouent ce rôle de guide, mais étant donné que l'auto-édition n'a pas accès aux librairies (pour des raisons complexes allant de considérations juridiques à financières), c'est bien évidemment d'autant plus difficile pour un auteur indépendant d'avoir de la visibilité. Cela étant, j'assume ma conviction, peut-être naïve, que le lecteur ne s'y trompe pas : un ouvrage de qualité trouve toujours son public. Un auteur auto-édité qui sabote son propre travail trompera le lecteur une fois, pas deux ; un auteur sérieux fédérera pour sa part une communauté. Laquelle s'agrandira peut-être lentement, mais aussi sûrement qu'on recommande un bon restau à ses amis. Toutes les études le prouvent (désolé de digresser vers des considérations purement marketing, ouh, le vilain mot) : le bouche à oreille est le moteur premier de l'acte d'achat. Plus on parle en bien d'un livre, mieux il se vend. C'est typiquement de cette façon que Hugh Howey est passé d'auteur auto-édité lambda à bestseller international ; son succès, il ne le doit à rien d'autre qu'à son talent. Conclusion : lecteur, fais confiance aux autres lecteurs, rapproche-toi de ceux avec qui tu as des affinités littéraires et écoute leurs conseils ; puis, à ton tour, donne des conseils. Faire triompher le talent vaut toujours mieux que dénigrer la médiocrité

C. : Quels sont tes projets à court, moyen et long termes ?
J.M. : Sur le court terme, boucler le maximum de textes avant la fin de l'année. J'ai trois romans pour ainsi dire terminés sous la main, mais tous illisibles parce que ni corrigés, ni relus, et bourrés d'incohérences. J'ai co-dirigé pour le compte des éditions Voy'El l'anthologie steampunk-LGBT A voile et à vapeur, qui verra le jour d'ici la fin de l'année. A moyen et long terme, plus de romans, ainsi qu'un recueil de nouvelles en anglais, Weekend in New England. A partir de l'année prochaine, j'ai l'intention de progressivement traduire et publier davantage en anglais.
Je te fais l'exclusivité d'une annonce que je n'ai encore faite nulle part, mais un court-métrage situé dans l'univers de Breizh of the Dead est également dans les tuyaux. Je travaille en ce moment sur le scénario ; il sera produit et réalisé par une société de production rennaise. C'est tout ce que je peux en dire pour l'instant.

C. : Puisque tu nous parles de tes romans quasi terminé. Pourrais-tu nous présenter ces romans justement ? Je crois qu'il y aura la suite de ton roman les étoiles regardent aussi, mais également Manhattan 2112, peux tu lever le mystère sur le troisième ?
J.M : Il y aura effectivement le second et dernier volet des Etoiles Regardent Aussi. Puis Manhattan 2112, un roman de série B se déroulant dans un New York cauchemardesque envahi par des monstres. Ces deux romans sont destinés à être auto-édités. Le troisième est un roman policier de space opera.
C. : Tes couvertures, pour Les étoiles regardent aussi et Manhattan 2112, sont à mon goût très réussi, comment as-tu déniché un illustrateur ?
J.M. : L'illustrateur est un ami avec qui nous nous rendons mutuellement service. Il faut entendre par là que je lui ai déniché un super boulot et que depuis il se sent redevable et a accepté de réaliser des couvertures et quelques designs pour moi et deux-trois autres auteurs plus confidentiels. C'était un coup de chance, donc ! Par ailleurs, je travaille également avec un illustrateur américain, Steven Novak, qui a réalisé la couverture de Weekend in New England.
C. : Parle nous un peu plus de cette anthologie Steampunk LGBT, à voile et vapeur, à paraître chez Voy'El comment est né ce projet ?
J.M.: C'est une anthologie née d'un appel à textes pour la collection Y, que je co-dirige chez Voy'El avec ma co-anthologiste Isabelle Wenta. Face à notre difficulté à récolter des textes de yaoi pour la collection, nous avons décidé de préparer une anthologie qui servirait (sans mauvais jeu de mots) d'étalon pour la collection. Il est difficile pour des auteurs de proposer un texte en adéquation avec une ligne éditoriale aussi ciblée que celle de Y, raison pour laquelle il était important de montrer ce que nous en attendions. Côté sommaire, comme toute anthologie de Voy'El, elle comporte à la fois des auteurs confirmés et débutants. Je suis très impressionné par la diversité des univers et des genres et sexualités qui ont été traités. Pour le moment, l'anthologie n'a pas de date officielle de sortie. 
C. Peux-tu nous parler un peu plus de Weekend In England ? C'est un recueil en anglais à paraître en numérique ? Combien de nouvelles contient-il ? Sera-t-il à terme traduit en français ?
J.M. : C'est un recueil en anglais à paraître en numérique et en papier, en impression à la demande. Il contiendra douze nouvelles, illustrées par Evangelista Cordeiro, de science-fiction et fantastique pour certaines. Je ne vois pas l'intérêt de traduire le recueil en français dans la mesure où la plupart de ces nouvelles sont des traductions de textes déjà The Harvest from Heaven and Hell, qui est disponible gratuitement et en français sur monsite.
parus en français. Pour ce qui concerne les textes inédits, il n'est pas exclu que je les propose en téléchargement gratuit, comme je l'ai déjà fait avec l'une des nouvelles du recueil,

C. : Le blog la licorne stellaire, m'a bien fait marrer, pourquoi avoir stoppé ? Aurais-tu subi des menaces ?
J.M. : Aucune menace, mais il faut bien avouer que j'ai eu les yeux plus gros que le ventre sur ce coup-là ; j'ai trop de boulot par ailleurs pour tenir un blog comme La Licorne sur une base régulière. J'envisage de relancer la machine de manière plus ponctuelle, sur une base hebdomadaire par exemple, et/ou avec davantage de contributeurs.
Mais la licorne est immortelle : elle reviendra.

C. : Comme les précédents auteurs interviewés, je te propose de me choisir ma prochaine lecture ICI, je m'engage à le lire dans les 3 mois.
J.M. : J'ai beaucoup hésité, sais-tu ? Parce qu'il y en a que je n'ai pas lus et pour lesquels ton avis m'aiderait justement à faire un choix, et d'autres pour lesquels je ne suis pas objectif, par exemple Franck Ferric, que je suis depuis ses débuts et qui est, à mon sens, un des auteurs les plus prometteurs pour les années à venir. Donc… allez, je l'ai cité, je ne peux plus reculer : Dernière semaine d'un reptile.


Retrouver la bibliographie complète de l'auteur : ICI



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