jeudi 28 mai 2015

Le Vivant d'Anna Starobinets

Editions : Mirobole
Collection : Horizons pourpres
Traduit du Russe par Raphaëlle Pache
Date de parution : Mai 2015 
prix papier : 22 €
477 pages


Dans un futur lointain, les humains sont connectés via des implants à un réseau commun. Ensemble, ils forment un organisme unique, le « Vivant ». La mort n’y existe pas : dès qu’un individu est « mis sur pause », son code génétique renaît dans un nouveau corps. Le nombre d’humains est constant – trois milliards.
Le Vivant vacille sur ses bases lorsque l’impensable survient : un homme naît. Il est sans code, sans patrimoine, il n’est la réincarnation de personne. On l’appelle Zéro. Placé sous étroite surveillance, il devra trouver des réponses sur son identité dans un monde réputé parfait…
Anna Starobinets déploie les codes de la littérature d’anticipation pour interroger d’une manière glaçante les traumas de nos civilisations virtuelles.

Anna Starobinets nous plonge dans une dystopie glaçante, qui nous happe dès les premières pages. On découvre avec stupeur cette nouvelle société régentée autour du Vivant, Le vivant est une entité qui s'est générée, apparemment, toute seule, grâce à la connexion des humains au socio. Dans une ère de transhumanisme, chaque individu possède une implantation cérébrale avec une connexion quasi permanente au socio. Si bien que les humains peuvent communiquer sur plusieurs strates, la première étant IRL (In real life) qui est pour beaucoup abandonnée au profit des autres strates. Chaque individu possède un incode parmi les trois Milliards générés, pas un de plus, pas un de moins. 
Les humains sont donc conviés à se reproduire durant les Festivals d'aide à la nature. D'ailleurs, on ne meurt pas, on se rend en zone de pause passé une durée de vie déterminée. Et on ne meurt jamais, la mort n'existe pas ; adage obligatoire dans toute conversation. Quand un homme se rend en zone de pause, il se réincarne avec son incode dans un nouveau corps. 


Seulement, vient un jour où une femme enceinte porte un fœtus sans incode. Il naîtra sous la dénomination de Zéro. Et sera vite placé dans une maison de correction, sous observation permanente de Ef, un planétarien officier au Service d'Ordre Planétaire. 

 Un vecteur criminalo-destructeur dans l’incode, ça n’est pas un crime.

Les porteurs de Vcdi ne sont pas des criminels. 
C’est important. 
Tout comme il est important de savoir que quelques porteurs de Vcdi – la majorité d’entre eux, en fait – seraient forcément devenus des criminels si le Vivant ne s’en était pas occupé. 
C’est justement en vertu de cette préoccupation constante qu’on va t’envoyer dans une maison de Correction pour porteurs de Vcdi.

Le background offert par Anna Starobinets est complexe, cyberpunk mais terriblement maîtrisé. Le récit est brillant, elle se sert habillement de ce thème pour pointer les possibles dérives d'une société régentée à tous les niveaux combinés à une addiction accrue des réseaux sociaux, addiction qui nous dessert plus qu'il nous sert, Big Brother n'est jamais loin. Chaque action de chaque individu est soumise à l'approbation du socio et si vous déviez... Non vous ne pouvez pas déviez !
Le Personnage de Zéro, avec le recul m'a rappelé Truman dans The Truman Show, sa naïveté entre autres, et là où Zéro est le seul à ne pas être connecté au socio, Truman est le seul à jouer sa vraie vie. La différence c'est que Zéro est un pantin, manipulable, et Anna Starobinets ne nous amène pas tout de suite où l'en pourrait le croire. Et profite de ces inflexions pour nous livrer le système et les avantages du pouvoir dans le Vivant...



«Le Vivant est comme un organisme géant, un corps unique constitué de différentes parties. 

Or la tête et le cul ne peuvent vivre dans les mêmes conditions, comprendre cet état de fait est d’une importance primordiale.
 La tête dirige, le cul se soumet. 
La tête respire, mange, boit, pense énormément et se soucie du bien-être du cul.
 Avec gratitude, le cul défèque à intervalles réguliers, pour débarrasser l’organisme des déchets… 
Si l’on faisait circuler de l’oxygène dans le cul, il ne se mettrait pas à respirer pour autant. 
Si l’on y fourrait de la nourriture, il serait incapable de la mâcher.
 Tous ces bienfaits ne feraient qu’engorger le cul qui cesserait de remplir ses fonctions, tomberait malade et empoisonnerait tout l’organisme en un rien de temps. 
Autrement dit, l’obtention de droits égaux nuirait grandement et au cul et à toutes les autres parties du corps… »

J'ai passé un très agréable moment de lecture. J'ai de suite été scotchée par le récit, la dystopie dépeinte est excellente et maîtrisée, elle appuie sur nos craintes et nos travers. Le côté cyberpunk peut toutefois déstabiliser certains lecteurs, mais je crois qu'il est important de voir le message à travers le texte et ne pas vraiment s'attacher à cette dimension. Anna Starobinets pousse volontairement à l'extrême l'usage de la sur-connectivité. Mais au-delà de cette dystopie, l'auteure nous esquisse habilement une métaphore de nos systèmes en place et finalement que choisiriez-vous, la peste ou le choléra ?




7 commentaires:

  1. L'univers me semble complexe mais passionnant.
    Merci pour cette chronique, ça me donne très envie de le lire.

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    1. C'est exactement ça, complexe mais passionnant parce que maitrisé. L'auteure a un style bien a elle, et elle arrive malgré le coté cyberpunk à ne pas perdre ses lecteurs.

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  2. Il me tentait mais là je suis convaincu, je pense que je vais me le prendre :)

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  3. Ce genre d'histoires me donne des frissons mais ta chronique me donne bien envie de le lire :)

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  4. Très bonne chronique, qui donne envie !

    A.C.

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